Éric Chenaux

Éric Chenaux fait de la musique conceptuelle qui n’entend pas sonner comme de la musique conceptuelle. Il jongle avec des traditions variées mais, plus que tout sans doute, à chaque disque, Chenaux s’attaque à la relation entre l’improvisation et la structure, et il le fait à sa manière toute particulière : à travers l’amour et ce – sans la moindre ironie ou le moindre cynisme. Car fondamentalement, Chenaux écrit et joue des chansons d’amour, qu’il chante d’une voix suave et claire, tandis que sa guitare opère en douce torsion, bifurcation et décomposition. La juxtaposition de son phrasé de crooner orfèvre tout en souplesse, et de ses explorations guitaristiques hautement expérimentales, font exploser les préceptes les moins conventionnelles du chant et de l’accompagnement, de l’interaction tonale et timbrale de la guitare et de la voix.

Les méthodes d’improvisation soliste de Chenaux font à certains égards écho au solipsisme : sa guitare joue à côté de, voire contre sa voix, défiant les codes les plus élémentaires de l’harmonie et de l’euphonie. Il improvise « avec lui-même », comme dédoublé, cherchant sans cesse à se surprendre (et à surprendre ses auditeurs). Les rubans de voix et d’instruments qu’il déroule semblent indépendants en apparence : ce pour mieux capturer – et se laisser captiver par – les instants imprévus d’intime dépendance : c’est une définition de la liberté comme état profondément intentionnel d’ouverture, de présence et de jeu.

Eric Chenaux apparaît à la marge de certains courants – pourtant avant-garde – de la ballade folk, pop et jazz, comme une anomalie. Sa musique n’en demeure pas moins merveilleusement chaleureuse, généreuse et fondamentalement accessible, en dépit de son irréfutable iconoclasme. Si les éléments constitutifs de son œuvre solo pourraient suggérer une certaine dévotion implicite à l’ascétisme, c’est plutôt le contraire qui est vrai : ses rêveries musicales sont un acte de résistance à l’austérité sous toutes ses formes. On s’abandonne joyeusement à cet espace improvisé où l’allégresse et la légèreté sont pris au sérieux et où l’amour est convoqué et exprimé, évitant le piège d’un sentimentalisme réducteur, comme une parenthèse éclairée et lucide au cynisme de la vie.

Slowly Paradise est le nouvel album solo d’Eric Chenaux – une collection de chansons longues pour la plupart, guidées par un chant apaisant et moelleux, et par un jeu de guitare échevelé, oblique. Il s’agit sans doute de son œuvre solo la plus essentielle et aboutie, celle d’un artiste en pleine maîtrise de son art poursuivant avec assurance le chemin entamé par ses précédents albums Guitar & Voice et Skullsplitter, tous deux salués chaudement par la critique, à juste titre.

Désormais installé à Saint-Ouen depuis 2011, Eric Chenaux était dans les années 1990 et 2000 une figure de proue de la scène musicale expérimentale « DIY » de Toronto, du post-punk de groupes comme Phleg Camp et Lifelikeweeds vers une technique de guitare acoustique amplifiée très caractéristique et unique appliquée dans un contexte solo comme au sein d’ensembles. Il a cofondé le label de musique expérimentale Rat-drifting en 2002, réunissant un échantillon iconoclaste de la scène d’improvisation libre, composition contemporaine, jazz-dévoyé, avant-chanson de Toronto, avec notamment plusieurs ensembles dont il est alors membre (The Reveries, The Draperies, The Guayaveras, The Marmots, The Allison Cameron Band, Drumheller, Nightjars). Chenaux a développé ses pratiques hautement personnelles tout au long de cette période, en expérimentant avec des enceintes miniatures et diverses formes innovantes de «signal-bending». Le label Constellationabrite l’œuvre solo d’Eric depuis 2006 – une brillante discographie de ballades déconstruites et aventureuses, somptueuses et langoureuses, aux influences jazz et pop, résultat de l’association de son jeu de guitare halluciné et de sa voix si superbement claire et lyrique. Il est par ailleurs régulièrement compositeur et interprète de musiques de films – dont la bande originale du long métrage Light Years d’Esther-May Campbell ainsi que diverses collaborations avec le réalisateur Eric Cazdyn. Il compose également pour la danse contemporaine, et a collaboré avec l’artiste visuelle/sonore Marla Hlady sur de nombreuses installations sonores parmi lesquelles une résidence récente à AVATAR à Québec qui devrait aboutir à la sortie d’enregistrements de leur performance in-situ prévue pour 2018. Au cours de 30 ans de carrière, Eric Chenaux a eu l’occasion de se produire et d’enregistrer avec beaucoup d’autres artistes, notamment en duo avec Eloïse Décazes (La bride chez three:four records), Sandro Perri, Ryan Driver, Pauline Oliveros, Martin Arnold, Allison Cameron, John Oswald, Michael Snow, Brodie West, Han Bennink, Michael Moore, Baby Dee, Josephine Foster, Martin Tetrault, Radwan Ghazi Moumneh, Kurt Newman, Little Annie, Wilbert De Joode, Gareth Davis, Jacob Wren, Norberto Lobo, Nathaniel Mann, Marisa Terzi et Christine Abdelnour. 

 

Musique

mer 10 avr 2019 — 20:30


Concert en partenariat avec three:four records

5€ , réservation conseillée au 04 91 37 97 35