Jean-Michel Espitallier

« Bon Dieu, c’est quoi la guerre sinon tuer des gens ! »
Lieutenant Calley, responsable du massacre de My Lai

Décrire froidement, méticuleusement, des images (photos, vidéos) de crimes de guerre ou d’actes d’ultraviolence dans un cadre guerrier peut produire un effet de ralentissement, de zoom, d’incongruité. Passées dans l’écriture, ces images sont prises en charge par la langue, qui est traditionnellement le lieu constitutif de notre humanité, la résistance à la barbarie. Au choc visuel se substitue un choc plus lent, moins brutal mais plus glaçant. Et plus en conscience. Parce que sans doute plus à notre portée. Dire l’innommable est en soi un acte innommable.
Une série de scènes, courtes, décrivent donc des crimes de guerre, scènes d’où ont été ôtées toutes références géographiques et historiques. Parce que le crime de guerre, c’est-à-dire le crime contre l’humanité, est toujours et partout le même. Un geste irrationnel, terrifiant, rétif à toute explication psychologique ou anthropologique. À ces scènes s’ajoutent des paroles de bourreaux, reproduction in extenso d’extraits de discours, entretiens, confessions diverses de criminels de guerre - petites mains ou hauts dignitaires -, également décontextualisés afin que le lecteur se débarrasse de tout a priori historique et politique. Parce que, si l’on peut expliquer les processus socio-historiques ou idéologiques de telles montées aux extrêmes, demeure la vertigineuse énigme qu’est cette « chance de l’inhumanité impunie » dont parle Gunther Anders. Laquelle énigme pose cette terrible question : Existe-t-il en chacun de nous cette part d’ombre qui pourrait nous faire basculer dans l’inconcevable ?

« Ici, il n’y a pas de pourquoi. »
Primo Levi, Si c’est un homme

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Jean-Michel Espitallier est écrivain, performeur et batteur.
Derniers ouvrages parus : Tourner en rond : de l’art d’aborder les ronds-points (PUF, 2016), Syd Barrett, le rock et autres trucs (Le Mot et le reste, 2017) et La Première Année (Éditions Inculte, 2018).